Le fond des choses
Depuis 2012, l'édition de ZwinUp m'a amené à fréquenter, de manière assidue, les différentes expositions à Marrakech. J'ai pu constater que rares sont les artistes qui parviennent à créer un univers spécifique et identifiable au premier coup d'œil, plus rares encore sont ceux qui parviennent à se renouveler et, enfin, il est presque exceptionnel qu'un artiste parvienne à créer une voie inédite. De toutes ces expositions, une sorte d'ennui, une sensation de déjà vu, me collait à la peau. Quand je m'interrogeais sur ma propre tentation artistique, il y avait donc la nécessité de relever (ou de prétendre relever) ces défis là.
Dans un deuxième temps, en proposant mes travaux au regard des autres, les réactions ont pu valider ou non, les intentions qui ont sous-tendues mon projet. De fait, les mots "original", "nouveau"... ont été les plus utilisés et m'ont encouragé dans ce travail. Et puis, au travers des réactions, j'ai pris conscience de choses que je n'avais pas formulées tellement elles sont liées, intimement, à ce que je suis.
Mes peintures racontent des histoires, elles disent des choses sur l'actualité, sur le bruit médiatique, sur toutes ces choses qui nous émeuvent, nous passionnent, nous bouleversent dans le monde dans lequel nous baignons. Ce qui engendre aussi des rejets ; la série Aylan en a dérangé plus d'un, parce qu'elle pouvait renvoyer à des enjeux politiques (l'immigration, la montée des nationalismes, l'Europe...) ou, plus simplement, parce que les plus sensibles d'entre nous, se sentent meurtris face à de drame. D'ailleurs Guernica, ou la peinture de Mahi Binebine par exemple, avait déjà exploré ces voies là...
Et puis, il m'est apparu que, loin de revendiquer un positionnement politique ou critique sur ce qui se dit et se partage sur les réseaux sociaux et sur le web, j'étais attaché à une certaine distanciation. Bien sûr, moi aussi, je suis porté par des valeurs, des choix, mais il m'importe d'avoir toujours un regard au deuxième degré, du recul, pour ne pas me faire absorber par le bruit ambiant, la cacophonie. L'Histoire se passe sous nos yeux et, à presque soixante ans, plusieurs très intéressantes se sont déroulées devant les miens ; toutefois, dès l'âge de vingt ans, j'avais compris que l’Histoire qui m'importait n'était pas celle des encyclopédies, des archives, mais celle du quotidien, celle qui entre dans nos vies. Par exemple, pour moi, l'accession du roi Mohamed VI au pouvoir, cela a été ces premières photos privées d'un roi jeune et décontracté qui se vendaient sur les trottoirs de Marrakech, cela a été la curiosité et l'attroupement autour des kiosques de journaux parce que des vérités cachées étaient enfin dévoilées...
Ainsi, mes peintures ne sont pas des discours, des prises de positions, mais elles essaient d'extraire les émotions, les moments artistiques de la vie qui se déroulent sous nos yeux. Bien des photos de réfugiés syriens renvoyaient à des symboles forts, des antécédents artistiques : ce n'est pas à cause de sa seule valeur journalistique que la photo de Sergey Ponomarev, journaliste au New York Times, a remporté le prix Joseph Pulitzer 2015, mais bien parce qu'elle renvoyait à notre background artistique collectif : le radeau de la Méduse de Théodore Géricault. De la même manière, le dab de Pogba, fait référence à la culture hip-hop et introduit une émotion artistique dans un espace où elles ne sont que rarement conviées.
L'Art peut être aussi ça : extraire l'émotion et les moments de grâce dans le brouhaha médiatique et celui de nos petites vies où les calculs, les rivalités et les intérêts semblent avoir envahi tout l’environnement. Mon ambition est de contribuer à cet art là.